Choix

Photo: UQÀM
Il y a quelques semaines, j'ai retrouvé une amie de longue date. Je l'ai "attrapée au vol", je l'ai surprise en plein déménagement car elle quittait l'Europe pour l'Océanie. Notre correspondance est courte, hachée par les mille et une activités de nos vies quotidiennes entre adaptation, recherche d'emploi et vies de famille et de voyage. Comment se redécouvrir, en ligne, après près de 20 ans de séparation? Je l'aime beaucoup et le jeu, à mes yeux, en vaut la chandelle. Mon amie semble partager mon enthousiasme car elle prend le temps de nourrir cet échange électronique. Il y a quelques jours, elle m'a demandé: "La question qui me vient concerne ton choix de pays de résidence: pourquoi le Canada? Surtout pour toi qui vient d'un pays chaud."

Il y a longtemps que je médite sur cette question. J'ai souvent expliqué mon choix par un désir égoïste de vivre dans un milieu où tout est plus "facile" et "accessible" que là d'où je viens. Cette réponse néanmoins me laisse insatisfait car je suis capable de vivre sans le "facile" et l'"accessible". La réponse est donc incomplète et j'ai répondu ceci, beaucoup plus proche de la vérité que la théorie du "choix égoïste", à mon amie.

"Tout a commencé parce que ma famille y voyait une meilleure opportunité que la France, mon premier choix parce que je vous y aurais tous retrouvé. La France sentait trop le roussi avec les histoires de racisme et de discrimination.  

Métro de Montréal 2012

Une fois sur place et mes études terminées, j'ai décidé de rester. D'abord parce qu'on s'attache à la terre qui nous accueille: Montréal m'a ouvert grand les bras. Amoureux des langues, j'ai pu parler fon et français, espagnol et anglais et j'ai pu, dans le même souffle, apprendre à parler japonais et arabe; j'ai marché sur les docks un soir et fréquenté des boîtes de nuit huppées le soir suivant. J'ai croisé des stars du cinéma, découvert d'une part le jazz et les filles et d'autre part l'importance de la foi, de l'écriture, de la famille et de la photographie dans ma vie; les nouveaux amis que je me faisais, voyageurs de passage, étudiants ou professeurs venaient de partout dans le monde, je n'avais plus besoin de voyager pour les rencontrer. Je me suis attaché à Montréal pour ces raisons, et donc un peu au Canada.

D'autre part, quelqu'un m'a dit il y a plusieurs années que je semblais toujours chercher quelque chose. Cette affirmation me hante toujours parce que j'ai peur qu'elle soit vraie. Si c'est le cas, j'ai besoin de me déplacer et de continuer à chercher. Quand fatigué de Montréal je suis enfin parti en vacances (et en quelque sorte, en exploration) en Europe et en Afrique, et que j'ai pris de la distance -au sens littéral et philosophique du terme- par rapport au Canada, j'ai réalisé que cette terre que j'avais ainsi une chance de fuir en m'installant ailleurs, correspondait parfaitement à ce dont j'avais besoin car elle était vaste et, en un sens, vierge. Ce pays me permettait d'explorer, de migrer, de bouger, de découvrir, en un mot de continuer ma quête sans avoir à quitter les frontières nationales. Je ne pouvais décemment pas m'éloigner des dix provinces et des trois territoires qui forment le Canada parce que je me sentais mal dans une ville, c'était trop bête. Connais-tu la fable de La Fontaine, le laboureur et ses enfants? Il me fallait chercher mon trésor ici d'abord. J'ai migré à Winnipeg et j'ai découvert le Manitoba, la Saskatchewan puis les autres provinces. Les années de bonheur que j'y ai vécu ont conforté mon idée qu'il y avait tellement de différences d'une région à une autre que j'aurais à peine de toute une vie pour faire le tour de ma nouvelle patrie. Au fil du temps, je découvre, comme les enfants du laboureur, que le bonheur est plus dans la quête que dans l'objet de cette dernière...

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Le froid quant à lui ne m'a jamais dérangé. D'ailleurs, il a fait plus froid dans les plates Prairies canadiennes où le vent souffle encore plus fort, que partout ailleurs. C'est un peu comme dans une relation amicale, fraternelle, professionnelle ou amoureuse. Vu que personne n'est parfaite, on fait des compromis et parfois, on en arrive à aimer les défauts de l'autre car ils le rendent unique. J'ai vite compris que si je n'acceptais pas le froid -et donc ma terre d'accueil comme elle est, je n'avais qu'à retourner d'où je venais. J'ai compris que je n'avais pas à me plaindre et, surtout, après plusieurs années, j'ai compris que je pouvais faire mieux et même apprivoiser ce froid qui distingue si bien mon nouveau pays de tous les autres, en m'habillant bien et en faisant des activités d'hiver. Non, l'hiver ne m'a pas repoussé. Il m'a attiré au contraire car, comme tu l'indiques, je suis né dans un pays chaud. C'est ce que je ne suis pas, ce que je ne sais pas, ce que je connais mal, qui m'attire le plus. Nomade comme toi, petit pionnier des temps modernes, j'aime encore plus aller où personne autour de moi ne veut. 

Permets-moi, amie, d'utiliser cette lettre sur le blog que je tiens et par lequel je veux partager un peu de ce moi dont je viens de te livrer un pan. 

Bises, et à la prochaine question."

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